Bénabar
QUATRE MURS ET UN TOIT


Un terrain vague, de vagues clôtures, un couple divague sur la maison
future. On s'endette pour trente ans, ce pavillon sera le nôtre, et
celui de nos enfants corrige la femme enceinte. Les travaux sont
finis, du moins le gros oeuvre, ça sent le plâtre et l'enduit et la
poussière toute neuve.

Le plâtre et l'enduit et la poussière toute neuve.

Des ampoules à nu pendent des murs, du plafond, le bébé est né, il
joue dans le salon. On ajoute à l'étage une chambre de plus, un petit
frère est prévu pour l'automne. Dans le jardin les arbres aussi
grandissent, on pourra y faire un jour une cabane.

On pourra y faire un jour une cabane.

Les enfants ont poussé, ils sont trois maintenant, on remplit sans se
douter le grenier doucement. Le grand habite le garage pour être
indépendant, la cabane, c'est dommage, est à l'abandon. Monsieur
rêverait de creuser une cave à vins, Madame préfèrerait une deuxième
salle de bain.

Ça sera une deuxième salle de bain.

Les enfants vont et viennent chargés de linge sale, ça devient un
hôtel la maison familiale. On a fait un bureau dans la petite pièce
d'en haut, et des chambres d'amis, les enfants sont partis. Ils ont
quitté le nid sans le savoir vraiment, petit à petit, vêtement par
vêtement.

Petit à petit, vêtement par vêtement.

Ils habitent à Paris des apparts sans espace, alors qu'ici il y'a trop
de place. On va poser tu sais des stores électriques, c'est un peu
laid c'est vrai, mais c'est plus pratique. La maison somnole comme un
chat fatigué, dans son ventre ronronne la machine à laver.

Dans son ventre ronronne la machine à laver.

Les petits enfants espérés apparaissent, dans le frigo, on remet des
glaces. La cabane du jardin trouve une deuxième jeunesse, c'est le
consulat que rouvrent les gosses. Le grenier sans bataille livre ses
trésors, ses panoplies de cow-boys aux petits ambassadeurs, qui
colonisent pour la dernière fois la modeste terre promise, quatre murs
et un toit. Cette maison est en vente comme vous le savez, je suis, je
me présente, agent immobilier. Je dois vous prévenir si vous voulez
l'acheter, je préfère vous le dire cette maison est hantée. Ne souriez
pas Monsieur, n'ayez crainte Madame, c'est hanté c'est vrai mais de
gentils fantômes. De monstres et de dragons que les gamins savent
voir, de pleurs et de bagarres, et de copieux quatre-heures, "finis
tes devoirs", "il est trop lourd mon cartable", "laisse tranquille ton
frère", "les enfants: à table!".

Écoutez la musique, est-ce que vous l'entendez?


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