François Béranger
CHANSON POUR ELLE


Elle est si jeune, si sage et si veille
Elle est si douce, si cruelle aussi
Si veille dans son repaire sous terre
Cachée depuis des millénaires
Si jeune dévalant la montagne
Attendant son heure pour jaillir
Providence des assoiffés
S'offrant si on a besoin d'elle
Mais capturée par les soiffards
Qui la volent, l'enferment et la vendent

Si pure, la jeune fille innocente
Qu'on viole, qu'on fouille, qu'on tourmente
Si pure, la jeune fille qu'on souille
Et qu'on mélangera aux sanies
C'est la mère qui nous a portés
Dans son extrême suavité
Dans sa chaleur de ventre tendre
Quand dehors il gèle à pierre fendre
Avant de nous abandonner
Au froid, au feu, au sort commun
Dans une déchirure sans gloire
Enfant chétif et sans défense

Mais jusqu'à nos moindres cellules
Tu nous lègues tes particules
Tu restes jusqu'au bout de notre âge
Notre plus précieux héritage

Ma mère, tu gazouilles des chansons
En t'insinuant partout sur terre
Et tu grondes des destructions
Quand tu grossis dans tes colères
Dans la mer aux mille poissons
Que personne encore n'a vidée
Tu portes sur ton dos bleuté
Tes prédateurs et leurs poisons

Ceux qui défèquent sans relâche
Leurs déchets inaltérables
Dans tes abysses insondables
Où tu digères tout, croit-on

O mère, dans ma langue, ô surprise,
Tu es signe d'admiration
Le signe de la perfection
Dont la brièveté déroute
Dans d'autres parlers tu ressembles
Au premier mot des enfants
Qui en appellent à leur mère
Ma, el ma, ô maman
Mais d'une seule ride de vieillesse
Tu sais engloutir des contrées
D'un tsunami briser les côtes
Dans la joie de refaire le monde.


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