Georges Brassens
CORNE D'AUROCHS



Il avait nom corne d'Aurochs, au gué, au gué
Tout le monde peut pas s'appeler Durand, au gué, au gué

En le regardant avec un oeil de poète,
On aurait pu croire à son frontal de prophète,
Qu'il avait les grandes eaux de Versailles dans la tête
Corne d'Aurochs.

Mais que le bon dieu lui pardonne, au gué, au gué
C'étaient celles du robinet; au gué, au gué

On aurait pu croire en le voyant penché sur l'onde
Qu'il se plongeait dans des méditations profondes,
Sur l'aspect fugitif des choses de ce monde
Corne d'Aurochs.

C'étaient hélas pour s'assurer, au gué, au gué
Que le vent ne l'avait pas décoiffé, au gué, au gué

Il proclamait à son de trompe à tous les carrefours
"Il n'y a que les imbéciles qui sachent bien faire l'amour,
La virtuosité c'est une affaire de balourds!"
Corne d'Aurochs.

Il potassait à la chandelle, au gué, au gué
Des traités de maintien sexuel, au gué, au gué
Et sur les femmes nues des musées, au gué, au gué
Faisait le brouillon de ses baisers, au gué, au gué

Et bientôt petit à petit, au gué, au gué
On a tout su, tout su de lui, au gué, au gué

On a su qu'il était enfant de la Patrie
Qu'il était incapable de risquer sa vie
Pour cueillir un myosotis à une fille
Corne d'Aurochs.

Qu'il avait un petit cousin, au gué, au gué
Haut placé chez les argousins, au gué, au gué
Et que les jours de pénurie, au gué, au gué
Il prenait ses repas chez lui, au gué, au gué

C'est même en revenant de chez cet antipathique
Qu'il tomba victime d'une indigestion critique
Et refusa le secours de la thérapeutique
Corne d'Aurochs.

Parce que c'était un Allemand, au gué, au gué
Qu'on devait le médicament, au gué, au gué

Il rendit comme il put son âme machinale
Et sa vie n'ayant pas été originale
L'État lui fit des funérailles nationales
Corne d'Aurochs.

Alors sa veuve en gémissant, au gué, au gué
Coucha avec son remplaçant, au gué, au gué.


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