Georges Brassens
JEANNE MARTIN



La petite presqu'île
Où jadis, bien tranquille,
Moi je suis né natif,
Soit dit sans couillonnade
Avait le nom d'un ad-
jectif démonstratif.

Moi, personnellement
Que je meure si je mens
Ça m'était bien égal;
J'étais pas chatouillé,
J'étais pas humilié
Dans mon honneur local.

Mais voyant de l'infamie
Dans cette homonymie,
Des bougres s'en sont plaints
Tellement que bientôt
On a changé l'ortho-
graphe du nom du patelin.

Et j'eus ma première tristesse d'Olympio,
Déférence gardée envers le père Hugo.

Si faire se peut
Attendez un peu,
Messieurs les édiles,
Que l'on soit passé
Pour débaptiser
Nos petites villes.

La chère vieille rue
Où mon père avait cru
On ne peut plus propice
D'aller construire sa
Petite maison s'a-
ppelait rue de l'Hospice.

Se mettre en quête d'un
Nom de rue plus opportun
Ne se concevait pas.
On ne pouvait trouver mieux
Vu qu'un asile de vieux
Florissait dans le bas.

Les anciens combattants,
Tous comme un seul, sortant
De leurs vieux trous d'obus,
Firent tant qu'à la fin
La rue de l'Hospice devint:
La rue Henri Barbusse.

Et j'eus ma deuxième tristesse d'Olympio,
Déférence gardée envers le père Hugo.

Si faire se peut
Attendez un peu,
Héros incongrus,
Que l'on soit passé
Pour débaptiser
Nos petites rues.

Moi, la première à qui
Mon coeur fut tout acquis
S'appelait Jeanne Martin,
Patronyme qui fait
Pas tellement d'effet
Dans le bottin mondain.

Mais moi j'aimais comme un
Fou ce nom si commun,
N'en déplaise aux minus.
D'ailleurs, de parti pris,
Celle que je chéris,
S'appelle toujours Vénus.

Hélas un béotien
A la place du sien
Lui proposa son blase
Fameux dans l'épicerie
Et cette renchérie
Refusa pas, hélas!

Et j'eus ma troisième tristesse d'Olympio,
Déférence gardée envers le père Hugo.

Si faire se peut
Attendez un peu
Cinq minutes, non?
Gentes fiancées,
Que l'on soit passé
Pour changer de nom.


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