Jacques Brel
ALDONZA
1968


Je suis née comme une chienne une nuit où il pleuvait
Je suis née et ma mère est partie en chantant
Et je ne sais rien d'elle que la haine que j'en ai
J'aurais dû venir au monde en mourant

Eh bien sûr, il y a mon père, on dit, on dit souvent
Que les filles gardent leur père au profond de leur coeur
Mais je n'ai pas su mon père, mon père était plusieurs
Car mon père était un régiment.
Je ne peux même pas dire s'ils étaient andalous ou prussiens
Sont-ils morts vers le nord, sont-ils morts vers le sud
Je n'en sais rien!

Une Dame, et comment veut-il que je sois une Dame?

J'ai grandi comme une chienne de carrefour en carrefour
J'ai grandi et trop tôt sur la paille des mules
De soldat en soldat, de crapule en crapule
J'ai connu les bienfaits de l'amour
Et je vis comme une bête, je fais ça comme on se mouche
Et je vis sans savoir ni pour qui ni pour quoi
Pour un sou je me lève, pour deux sous je me couche
Pour trois sous je fais n'importe quoi!
Si vous ne me croyez guère, pour trois sous venez voir le restant
De la plus folle des flancées au plus crapuleux des brigands de la terre

Mais chassez donc vos nuages et regardez-moi telle que je suis

Une Dame, une vraie Dame a une vertu, a une âme
Dieu de Dieu, de tous les pires salauds que j'ai connus
Vous qui parlez d'étoile, vous qui montrez le ciel,
Vous êtes bien le plus infâme, le plus cruel.
Frappez-moi, je préfère le fouet à vos chimères,
Frappez-moi jusqu'au feu, jusqu'au sol, jusqu'à terre
Mais gardez votre tendresse, rendez-moi mon désespoir
Je suis née sur le fumier et j'y repars,
Mais je vous en supplie, ne me parlez plus de Dulcinéa
Vous voyez bien que je ne suis rien, je ne suis qu'Aldonza la putain.


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