Jacques Brel
L'ÉCLUSIER
1968


Les mariniers me voient vieillir
Je vois vieillir les mariniers
On joue au jeu des imbéciles
Où l'immobile est le plus vieux
Dans mon métier même en été
Faut voyager les yeux fermés
Ce n'est pas rien d'être éclusier

Les mariniers savent ma trogne
Ils me plaisantent et ils ont tort
Moitié sorcier moitié ivrogne
Je jette un sort à tout ce qui chante
Dans mon métier c'est en automne
Qu'on cueille les pommes et les noyés
Ce n'est pas rien d'être éclusier

Dans son panier un enfant louche
Pour voir la mouche qui est sur son nez
Maman ronronne le temps soupire
Le chou transpire le feu ronchonne
Dans mon métier c'est en hiver
Qu'on pense au père qui s'est noyé
Ce n'est pas rien d'être éclusier

Vers le printemps les marinières
Me font des manières de leur chaland
J'aimerais leurs jeux sans cette guerre
Qui m'a un peu trop abîmé
Dans mon métier c'est au printemps
Qu'on prend le temps de se noyer.


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