Aristide Bruant
A GRENELLE
Paroles et musique: Aristide Bruant, 1885


Quand je vois des filles de dix-sept ans,
Ça me fait penser qu'y a bien longtemps
Moi aussi, je l'ai été, pucelle,
A Grene-e-elle!

Mais c'est un quartier plein de soldats,
On en rencontre à tous les pas,
Jour et nuit, 'font sentinelles,
A Grene-e-elle!

J'en ai-t-y connu des lanciers,
Des dragons et des cuirassiers
Qui me montraient à me tenir en selle
A Grene-e-elle!

Fantassins, officiers, colons,
Montaient à l'assaut de mes mamelons!
Ils me prenaient pour une citadelle!
A Grene-e-elle!

Moi, je les prenais tous pour amants,
Je commandais tous les régiments,
On m'appelait "Mâme la Colonelle",
A Grene-e-elle!

Mais ça me rapportait que de l'honneur,
Car si l'amour, ça fait le bonheur,
On fait pas fortune avec elle,
A Grene-e-elle!

Bientôt je m'aperçus que mes beaux yeux
Sonnaient l'extinction des feux,
On se mirait plus dans ma prunelle
A Grene-e-elle!

Mes bras, mes jambes, mes appâts,
Tout ça foutait le camp à grands pas,
J'osais plus faire la petite chapelle
A Grene-e-elle!

Aujourd'hui que j'ai plus de position,
Les régiments me font une pension:
On me laisse manger à la gamelle,
A Grene-e-elle!

Ça prouve que quand on est putain,
Faut s'établir Chaussée d'Antin,
Au lieu de se faire une clientèle
A Grene-e-elle!


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