Léo Ferré
ÉCOUTE-MOI


Écoute-moi, Listen to me, Ascolta me, Lazare!
Quand les pendules sonneront leur voix stellaire
Et que les boulevards traîneront plus par terre
Tu pourras te lever, dans ce siècle bizarre

Moi, qui vendait des Paris-Soir à Babylone
Quand les avions à réaction avaient des plumes
Et gueulaient des chants doux comme un cancer de brume
Sur cet Orient avec leur gorge microphone

Tant que j'aurais le souffle et l'ancre dans ma rue
Et que le vent du nord ouvrira mes éponges
Il régnera chez moi comme une mer têtue
Qui me tiendra la main à la marée des songes

Qui dira la passion du Corton à la messe?
Cette rouge chanson plus rouge que le sang
Qui dira la virginité de nos caresses?
Quant il y passerait Jésus entre nos dents

Rien n'est beau qu'un matin laïc, dans la brume
Alors que le soleil est encore au dortoir
Et que la gaze dans la plaine se consume
Comme un rictus d'encens quant s'ébroue l'encensoir.

Je vis! Dès aujourd'hui je suis mort dans la cire
Ma voix microsillone une terre ignorée
On me lit n'importe où, à l'heure du délire
A l'ombre d'un juke-box où bourgeonnent des Ferrés

Dans l'azur en prison, vautré sous la mémoire
Maldoror d'une main et Sade dans le froc
Je suis un or galvanoplaste et je m'égare
Sous la tête diamant d'un phonographe toc.

Ma voix, dans quelque temps, sous la lune en plastique,
Quand ma carcasse présumée aura fané
Et que des Roméos, sur les places publiques,
Tendront complaisamment leurs perches aux chats quichés

Ma voix les bercera dans des berceaux de passe
Niches-toi mon copain et perches y ton bouc
Moi, le berger perdu, qui renifle la trace
De mes brebis rasées de frais pour le New-Look

La vie est un chaland où meurent des rengaines
Les larmes sont les flots, la peine, le roulis
Quelquefois le bonheur invente des misaines
A ce rafiot qui s'envoilure alors et plie...


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