Léo Ferré
MISÉRIA
Extrait de L'opéra du pauvre


PRENDRE UN BRIN DE HAUTBOIS
Y MÊLER DE LA HARPE
AVEC LA CLARINETTE
QUE LA FLÛTE SOIT NETTE
AJOUTEZ-Y QUELQUES TROMPETTES
DEUX OU TROIS CORS ET DE LA CORDE
LAISSEZ BIEN MIJOTER
PENDANT QUELQUES ANNÉES
ET PUIS VOUS ATTENDREZ
QU'ON VOUS LE SERVE FRAIS
SOUS QUELQUES PANS D'ARGILE
AVEC DU PISSENLIT A LA RACINE...

PLUSIEURS VOIX:
Porca Miseria!

MISERIA:
Les cordes de la contrebasse
Où l'on pendra ta vieille carne
Je suis les faux bijoux
Des femmes pauvres
Et toute d'or revêtue
J'attends les verts printemps
La nuit surtout

O ma frangine ancienne et solennelle
Ma soeur d'outre-saison
Mon ancienne pâleur
Quand je mettais du sang
Dans le coeur des poètes
Qui me le rendaient bien
Avec les intérêts...

Le charme de la détresse
Les yeux cernés de l'inquiétude
Les soucis de l'enfant prodigue
Et je fane les filles en fleurs
Et ça va vite, vite, vite..;
Regardez donc ces rides, Président,
Qui embarrassent les magazines
Et c'est la nuit qu'elles se défont
Dans l'ombre de la chair allée
Vers des problèmes de coutures
Vers des problèmes de mictions...

La Misère pisse quand même
Elle vieillit sans les atouts
Avec un as de pique dans les ovaires

(La Misère sort une poupée de son corsage et, s'adressant au Coq:)

TIENS, PETIT, TOUCHE CETTE POUPÉE ET TU NE SERAS JAMAIS RICHE...

(Le coq se précipite sur Miseria comme pour un duel... et il crève le ventre de la poupée, et - en trichant - de son autre main fait tomber en même temps une poignée de pièces sonnantes)

LE COQ:
Porca Miseria! Tu es riche... et tu caches ton fric

LE CORBEAU:
Monsieur l'Avocat Général, votre vocabulaire...
Voyons!

LE COQ (comme fou):
Regardez, messieurs, mesdames
LA MISÈRE EST RICHE! C'EST LA FIN DU MONDE!

LE HIBOU (ironique):
...ET DES BONNES MANIÈRES!

MISERIA:
Ma... Ma... Dio mio! Non capisco... Non capisco...

(elle se baisse, prend sa monnaie... et se précipite au Café pour boire un verre de vin rouge)

LE PUBLIC:
Porca Miseria... Porca Miseria


À la page des textes de Léo Ferré
À la page des textes