Léo Ferré
ON S'AIMERA


On s'aimera cet automne
Quand ça fume que du blond
Quand sonne à la Sorbonne
L'heure de la leçon
Quand les oiseaux frileux
Se prennent par la taille
Et qu'il fait encore bleu
Dans le ciel en bataille

On s'aimera
Pour un quignon de soleil
Qui s'étire pareil
Au feu d'un feu de bois
On s'aimera
Pour des feuilles mourant
Sous l'oeil indifférent
De monseigneur le froid

On s'aimera cet hiver
Quand la terre est peignée
Quand s'est tu le concert
Des oiseaux envolés
Quand le ciel est si bas
Qu'on le croit au rez-de-chaussée
Et que le temps des lilas
N'est pas prêt d'être chanté

On s'aimera
Pour un manteau pelé
Par les ciseaux gelés
Du tailleur des frimas
On s'aimera
Pour la boule de gui
Que l'an neuf à minuit
A roulée sous nos pas

On s'aimera ce printemps
Quand les soucis guignols
Dansent le french cancan
Au son du rossignol
Quand le chignon d'hiver
De la terre endormie
Se défait pour refaire
L'amour avec la vie

On s'aimera
Pour un tapis tout vert
Où comme les filles de l'air
Les abeilles vont jouer
On s'aimera
Pour ces bourgeons d'amour
Qui allongent aux beaux jours
Les bras de la forêt

On s'aimera cet été
Quand la mer est partie
Quand le sable est tout prêt
Pour qu'on s'y crucifie
Quand l'oeil jaune du ciel
Nous regarde et que c'est bon
Et qu'il coule du miel
De ses larmes de plomb

On s'aimera
Pour une vague bleue
Qui fait tout ce qu'on veut
Qui marche sur le dos
On s'aimera
Pour les sel et le pré
De la plage râpée
Où dorment des corbeaux

Où dorment des corbeaux.


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