Léo Ferré
OÙ VONT-ILS?


Où vont-ils ces chevaux de la glace et des morts?
Peut-être en Australie où les moutons délainent?
Peut-être dans la rue voisine où plient les gaines
Des putes cousues d'or?

Où vont-ils bénissant leurs lugubres chansons?
A la radio? Sous un pick-up pleurer misère?
Dans une galerie où s'abstrait la lumière
En algèbre quoi donc?

Où vont-ils ces marcheurs ceints de cuir et de foin?
A leurs naseaux le syndicat a mis des grilles
Pour filtrer des odeurs qui montent des bastilles
Et chanteront demain

Où vont-ils ces yeux fous que le fleuve renvoie?
Où vont-ils ces chalands achalandés de rives?
Notre Dame en passant leur file de l'ogive
A croquer pour des mois

Où vont-ils ces chevaux de la glace et des morts?
Peut-être à Montparnasse où Baudelaire jazze
Entre deux pissenlits les roses de la gaze
Quand Paris brume et dort

Où vont-ils ces filous qui fricfraquent le ciel
Et font des ronds dans l'eau quand le flic les regarde?
Peut-être à quelque soie peut-être à quelque harde
Ou cailler à l'hôtel?

Où vont-ils ces chagrins roulant en Cadillac?
Où vont-ils ces bijoux que les femmes bazardent
Aux larmes des bougies quand le peuple bavarde
En dentelle ou en frac?

Où vont-ils hénissant leurs lugubres chansons
Ces chevaux de Marly qui dévorent la brume?
Peut-être à quelque rendez-vous sur le bitume?
A piaffer d'occasion?

Où vont-ils ces chevaux de la glace et des morts?
Où vont-ils ces chevaux qui grognent sur la dune
A marée haute et du pétrole dans leurs plumes
Et l'avoine dans un baril?

Et l'avoine dans un baril?


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