Léo Ferré
ROTTERDAM



Il n'en restait plus qu'un
Et c'était celui-là
Un port du Nord ça plaît
Surtout quand on n'y est pas
Ça fait qu'on voudrais y être
Ça fait qu'on ne sait pas bien
S'il faut se taper le poète
Ou se taper la putain... de Rotterdam

Où y'a pas que des putains
Où y'a pas que des marins
Où y'a des chiens perdus
Et les enfants des rues
Où y'a pas que des marchands
Où y'a pas que des chalands
Où y'a des vieux chevaux
Qui bridgent avec la mort
Où y'a des flics chinois
Qui se prennent pour la reine
Où y'a des filles en soie
Qui font couler leur gaine
Sur le bord du trottoir
Comme un chagrin de plus
Qui traînera ce soir
Tout le long de la rue
Si au moins ça pouvait ressembler à Rotterdam

Où y'a des rats crevés
Comme y'en a à Paris
Où y'a des chats croisés
Avec des vieilles souris
Où y'a pas que de l'import
Où y'a bien loin du port
Des amants qui se font
Et puis qui se défont
Où y'a pas que des banknotes
Au seuil des minijupes
Et des mecs qui s'occupent
A placer leur camelote
Où y'a des malheureux
Qui donneraient leur cul
Si en donnant son cul
On était bienheureux
Si au moins ça pouvait ressembler à Rotterdam

Où y'a des assassins
Planqués dans leur whisky
Et puis des insensés
Qui passeront pas la nuit
Où y'a pas que du tabac
Au goût de caramel
Où y'a de pauvres soldats
Qui se farciraient le carmel
Où y'a un Christ debout
Derrière un bar de nuit
Qui cause avec le bout
Avec le bout de la nuit
Où y'a des exilés
Qui sortent leur exil
Dans le ciel barbelé
D'une publicité con
Si au moins ça pouvait ressembler à Rotterdam

Où je n'irai jamais
Car je vais au soleil
Où tu n'iras jamais
Car partout c'est pareil
Je prends le train du Sud
Tu prends le train du Sud
Il prend le train du Sud
Jusqu'au bout de la nuit
Si au moins ça pouvait ressembler à l'Italie


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