Thomas Fersen
LES LOUPS-GAROUS


Je menais une vie honorable
Sans un remous, sans un frisson,
Avec un peignoir sur le râble
Et aux pieds une paire de chaussons.

Par une rare conjonction
Entre Vénus, Mars et Saturne,
Mordu par un chien taciturne,
J'avais reçu l'extrême-onction.

Je n'allais pas passer la nuit
Et je faisais une drôle de tête,
Mais sur les douze coups de minuit,
J'ai repris du poil de la bête,

J'ai déterré ma vie de garçon,
La terre était légère et meuble,
Ma pioche, en rencontrant le meuble,
A rendu un lugubre son.

Quand la nuit tombe sur la ville,
Je renfile
Ma vieille peau de loup-garou
Pleine de trous.

Les poules se sont mises à brailler
Comme quand le renard les dérange,
Quand j'ai pris l'auto dans la grange
Qui leur servaient de poulailler.

J'avais pas touché un klaxon
Ni démarré ce tas de ferraille
Depuis les fameuses funérailles,
J'étais pas sorti de mon caisson.

Quand la nuit tombe sur la ville,
Je renfile
Ma vieille perruque de loup-garou
Pleine de poux,
Mes vieilles chaussures de loup-garou
Pleines de boue.

Qu'est-ce que j'entends?
Une voix me raisonne:
"Tu n'as plus vingt ans
Et tes tempes grisonnent,
Et tu t'en vas courir la gueuse
Comme un jeune homme!"

J'ai roulé à tombeau ouvert
Et tant pis pour les hérissons
Qui viennent se mettre en travers,
J'ai déterré ma vie de garçon.

J'ai déterré ma vie de garçon,
La terre était légère et meuble,
Ma pioche, en rencontrant le meuble,
A rendu un lugubre son.

Quand la nuit tombe sur la ville,
Je renfile
Ma vieille pelure de loup-garou
Pleine de trous.

J'avais pour éteindre l'amour
Déversé le sable des jours,
Et malgré tout ce Sahara,
Je n'ai pu oublier Sarah.

Ses cheveux blonds comme pépite
Qui lui descendaient dans le dos,
Je n'en croyais pas mes orbites
En voyant cet Eldorado,

Elle déterrait sa vie de jeune fille,
Je déterrais ma vie de garçon,
Ensemble on est partis en vrille,
Les morts sont de grands polissons.

Quand la nuit tombe sur la ville,
On enfile
Nos vieilles peaux de loups-garous
Pleines de trous.

Quand la nuit tombe sur la ville,
On enfile
Nos vieilles pelisses de loups-garous
Pleines de trous,
Nos vieilles perruques de loups-garous
Pleines de poux,
Nos vieilles chaussures de loups-garous
Pleines de boue.


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