Jean Lapointe
LA BALANÇOIRE



Tout petit sur ta balançoire
Tu voulais t'envoler pour voir
De l'autre côté des nuages
De quoi ont l'air les paysages
Et tu te donnais des élans
Jusqu'à hauteur de goélands
Le ciel était toujours trop haut
Et toi jaloux de ses oiseaux

Alors tu t'es mis à chercher
Mille secrets pour t'envoler
Ton coeur a tellement voyagé
Sur tes avions faites de papier
T'as tant rêvé de décoller
En cerf-volant les soirs d'été
Qu'un beau jour tu t'es réveillé
Avec des ailes à tes souliers

Et tu avais peur dans ton coeur d'oiseau
Peur de tomber mais tout était si beau
Les enfants te criaient d'aller plus haut
Encore plus haut
Tu te reposais parfois sur un fil
Comme les moineaux prisonniers centre-ville
Mais les enfants s'écriaient aussitôt:
Refais l'oiseau

Toi, tu étais pris à ton jeu
Tu repartais vers le ciel bleu
Et les enfants criaient: vas-y
Étonne-nous de ta magie
Alors léger comme une plume
Tu t'envolais chercher la lune
En jouant ton coeur, en jouant ta vie
Sans filet et sans parapluie

Et puis un jour en plein soleil
T'as senti du plomb dans tes ailes
T'aurais voulu te reposer
Mais ça criait de remonter
Alors tu t'es mis à tourner
Comme une feuille après l'été
Tu ne savais plus comment voler
Et les enfants s'en sont allés

Toi, tu avais mal dans ton coeur d'oiseau
Mal d'avoir fait ton dernier numéro
D'abandonner le monde vu d'en haut
Comme un tableau
En pleurant sur tes ailes refermées
Tu as su que tu avais terminé
Et qu'à trop vouloir toucher aux étoiles
On se fait mal

Et pourtant sur sa balançoire
Un des enfants venus te voir
Touchait déjà du bout des pieds
Le ciel où tu avais tourné
Tu lui as dit: ça fait souffrir
On pleure au moment d'atterrir
Mais déjà loin, il t'a crié:
Regarde-moi, je sais voler


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