Bernard Lavilliers
LES BARBARES



Les Barbares habitaient dans les angles tranchants
Des cités exilées au large du business
Ils rivaient leurs blousons d'étranges firmaments
Où luisaient la folie, la mort et la jeunesse

La nuit le haut fourneau mijotait ses dollars
La fumée ruisselait sur nos casques rouillés
Dans le vestiaire cradingue cinq minutes volées
A la fumée, au feu, au bruit, au désespoir

Oh mon amour emporte-moi, emporte-moi loin de la zone
Vers des pays chagrins, vers des pays faciles, vers des pays dociles

Ils rêvaient de tropiques, des tropiques tropicaux
Plein d'eau à trente degrés, plein de forêts sanglantes
Ils rêvaient de corail, d'amour, de sable chaud
Epinal leur fourgait ses images en partance

Le fils du patron venait nous visiter
Au sortir du night-club avec de jolies femmes
Il nous regardait faire, essayait d'estimer
La montée de la courbe, la chaleur de la flamme

Oh mon amour emporte-moi, emporte-moi loin de la zone
Vers des pays chagrins, vers des pays faciles, vers des pays dociles

Bourgeois adolescents aux mythes ouvriers
Militants acharnés de ce rêve qui bouge
Qui serez un beau jour de gauche bien rangé
Tricolore et tranquille, la zone c'était rouge

La noirceur des blousons nous faisait des étés
Sombres comme les fleurs de nos arbres acryliques
Nous déroulions nos chaînes essayant de décrocher
La montée de l'amour, de la paix, de la musique

Oh mon amour emporte-moi, emporte-moi loin de la zone
Vers des pays chagrins, vers des pays faciles, vers des pays dociles

Quand le car avalait sa ration de six heures
De mains brûlées de silicose et de gros rouge
Nous rentrions vidés dans nos cuisines soeurs
Un sourire, un café, la douche, rien ne bouge

La radio tapinait à l'étage inférieur
On dormait dans l'anzime et dans le carrefour
Puis nos têtes plongeaient vers de mondes meilleurs
Nos mamans affairées voyaient baisser le jour

Oh mon amour emporte-moi, emporte-moi loin de la zone
Vers des pays chagrins, vers des pays faciles, vers des pays dociles

Les barbares habitaient dans les angles tranchants
Des cités exilées au large du business
Ils rivaient leurs blousons d'étranges firmaments
Où luisaient la folie, la mort et la jeunesse

Oh mon amour emporte-moi, emporte-moi loin de la zone
Vers des pays chagrins, vers des pays faciles, vers des pays dociles


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