Marc Ogeret
FILLE D'OUVRIERS
Jules Jouy, 1898


Pâle ou vermeille, brune ou blonde,
Bébé mignon,
Dans les larmes ça vient au monde:
Chair à guignon!
Ébouriffé, suçant son pouce,
Jamais lavé,
Comme un vrai champignon ça pousse:
Chair à pavé!

A quinze ans, ça rentre à l'usine,
Sans éventail,
Du matin au soir ça turbine:
Chair à travail!
Fleur des fortifs, ça s'étiole,
Quand c'est girond,
Dans un guet-apens, ça se viole:
Chair à patron!

Jusque dans la moelle pourrie,
Rien sous la dent,
Alors, ça rentre "en brasserie":
Chair à client!
Ça tombe encore, de chute en chute,
Honteuse, un soir,
Pour deux francs, ça fait la culbute:
Chair à trottoir!

Ça vieillit, et plus bas ça glisse...
Un beau matin,
Ça va s'inscrire à la police:
Chair à roussin!
Ou bien, "sans carte", ça travaille
Dans sa maison,
Alors, ça se fout sur la paille:
Chair à prison!

D'un mal lent souffrant le supplice,
Vieux et tremblant,
Ça va geindre dans un hospice:
Chair à savant!
Enfin, ayant vidé la coupe.
Bu tout le fiel,
Quand c'est crevé, ça se découpe:
Chair à scalpel!

Patrons! Tas d'Héliogabales,
D'effroi saisis
Quand vous tomberez sous nos balles:
Chair à fusils!
Pour que chaque chien sur vos trognes
Pisse, à l'écart,
Nous leur laisserons vos charognes:
Chair à Macquart!


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