Plume Latraverse
CAHIN-CAHA


Je me demande parfois, je me demande souvent
Dépendant de comment vient le vent
Quand accoudée au bastingage
Ma mémoire déballe son bagage
Et que le temps, ce vieux forçat
Laboure son grand champ de remords
Je me demande comment t'aurais pris ça
Caïn, si tu n'étais pas mort?

Toi qui reluisais comme un blasphème
Toi qui étais l'anarchie même
Le front cinglé au mal d'amour
Semeur de trouble, gueulard, balourd
Crachant ton malheur essaimé
Quand le bonheur nous infestait
Je crois t'avoir un peu aimé
Parce que les autres te détestaient

C'est tout comme s'il y avait des gens
Pour qui la vie est indigeste
C'est tout comme s'il y avait des gens
Qui sont peut-être mieux morts qu'indigents!

Il y a du temps qu'il faut cueillir
Car il n'est pas fait pour vieillir
T'étais pas fait pour vivre longtemps
Tu as étiré tes vingts ans
Avec ta démarche incertaine
T'aurais pas pu, je le répète
Poigner la courbe de la trentaine
Sans que tes bretelles ne pètent

Ce traine qui délaisse l'âge tendre
N'a pas pris le temps de t'attendre
Tu serais resté su le quai de la gare
À voir les années qui s'égarent
T'es peut-être aussi ben d'être mort, mon vieux!
Je sais pas ce que t'aurais pu devenir
T'aurais eu de quoi te sentir envieux
Quelque part, t'avais pas d'avenir!

C'est tout comme s'il y avait des gens
Pour qui la vie est indigeste
C'est tout comme s'il y avait des gens
Qui sont peut-être mieux morts qu'indigents!

Tiens, je vais te donner des nouvelles
Attends que je tourne la manivelle
Untel qui était si débonnaire
Est devenu un fonctionnaire
L'autre qui ne marchait pas au pas
Qui se soûlait comme un débile
Est retourné voir son papa
Pour vendre des automobiles

Celui qu'un grand souffle animait
Tellement qu'il jurait que jamais
On ne le tournerait en dérision
Fait le trèfle à la télévision
D'autres ont vraiment tout arrêté
Déjà qu'ils n'en me naient pas trop large!
Sont finis en parfaits ratés
Et vivent encore plus dans la marge

C'est tout comme s'il y avait des gens
Pour qui la vie est indigeste
C'est tout comme s'il y avait des gens
Qui sont peut-être mieux morts qu'indigents!

Nous, on n'est pas trop dispersés
On se tient toujours loin, comme tu sais
Des grands boulevards de la réussite
C'est pas les modes qui nous excitent
T'es mort dans nos années flyées
Pis aujourd'hui t'es mort de rire
Caïn, tu vas nous faire brailler
Pis dire qu'on pouvait pas te souffrir!

On s'est gardé un coin de bohème
Pour se chatouiller le système
On trinque encore sous le même toit
Et puis, les fois qu'on parle de toi

On se dit, en vrais matamores
Tu vois comme on est corrompus
On se dit que dans le fond, t'es ben mieux mort
Caïn, parce que Tarapâpu!


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