Berthe Sylva
BONHOMME NOËL
Raiter - Izoird


Le soir de Noël un grand magasin
Dans les mille feux de ses étalages
Expose aux regards de tous les bambins
Guignols et tambours, soldats et ménages.
Soufflant dans ses doigts que le froid rougit
Une gosse est là, pâlotte et chétive
Qui sur le trottoir admire, pensive,
Les grandes poupées, leurs jolis habits.
Devant tous ces trésors qui ne sont pas pour elle
La gosse dit tout bas sous le vent qui la gèle:

Pourquoi donc, Bonhomme Noël
Ne viens-tu pas dans ma cheminée
M'apporter quand tu viens du ciel
Deux grandes poupées?
Moi, jamais je n'eus de joujoux
Car on est malheureux chez nous
Ce soir donne-moi, je te prie
La poupée rose si jolie.

Sur Paris tout blanc le petit jour luit
Des cafés déserts les lustres s'éteignent
Les fêtards s'en vont des boîtes de nuit
Le roi-réveillon a fini son règne.
Mais la gosse en pleurs est venue tomber
Sous l'abri douteux d'une porte cochère
Deux larmes glacées mouillent ses paupières
Que le grand sommeil va bientôt fermer
Elle se croit déjà au paradis des anges
Et dit ses derniers mots dans un sourire étrange.

Je m'en vais Bonhomme Noël
D'un manteau blanc tout enveloppée
Demander aux anges du ciel
Deux grandes poupées
Et demain, quand je serai là-haut
Prenant les joujoux les plus beaux
Je les enverrai sur la terre
Pour mes petites soeurs de misère.


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