Anne Sylvestre
AGRESSIVEMENT VÔTRE


Puisqu'enfin je suis un chameau,
Permettez que je vous agresse,
Ce qui veut dire en d'autres mots:
Veuillez accepter ma tendresse.
Comme j'ai la réputation
D'irréductible peau de vache,
Je livre à votre discrétion
Cette faiblesse que je cache.

Il me vient comme une douceur.
Il faut l'extraire, j'en ai peur.

Puisque me voici dans vos bras,
Malgré que je sois une peste,
Constatez que je ne mords pas
Et permettez qu'ainsi je reste.
Si pourtant, par goût personnel,
Vous préférez que je vous brusque,
C'est votre droit le plus formel
Et honni soit qui s'en offusque.

Mais cette sorte de langueur,
Que vais-je en faire? Quel malheur!

La garder? Vous n'y pensez pas!
Je n'en ai vraiment pas l'usage.
Auriez-vous oublié déjà
Que je me dois d'être sauvage.
Vous me frôliez du bout des doigts,
Vous me preniez pour une brute,
Mais quand, aujourd'hui, je vous vois,
Dois-je penser que vous le crûtes?

Mais j'y songe, cette douceur,
Est-ce vraiment un grand malheur?

Je peux bien la cacher aussi
Et l'on dira, puisque l'on cause,
Que nous voilà mal assortis,
à moins que, la plaisante chose,
Puisque semblable est notre lot
Et qu'enfin je suis une teigne,
étant vous-même un beau salaud,
On nous loge à la même enseigne

Et s'il est question de bonheur,
Nous pouvons garder ma douceur.

Mais si je vous fais toujours peur,
Ne changez rien, c'est bien meilleur.


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