Anne Sylvestre
DOUCE-AMÈRE


Si je remonte au long des mailles
Qui ont pêché mes souvenirs,
Je sens bien que, vaille que vaille,
C'est dur de se redevenir,
Et je revois la tristelette
Qui se noyait dans un chagrin,
Osant à peine dire: "Faites,
Faites trois tours dans mon jardin."

Quand j'étais la douce-amère
Qu'on cueille au bord d'un chemin,
Qui n'est jamais la première
Ni la même que demain.

Mais, vois-tu, cette sauvagine,
La soeur des ronces, des orties,
Me plaisait bien et j'imagine
Que tu l'aurais aimée aussi.
Il fallait pourtant que je change,
Que je devienne en me fanant
Cette fleur faussement étrange
Qui disait en se pavanant:

"Moi, je suis la douce amère,
Moitié miel et moitié feu.
Mes aveux sont des mystères,
Mes mensonges des aveux."

Le temps que je te reconnaisse,
Le temps que tu me veuilles bien,
J'ai gagné un peu de tristesse.
Le temps me ramène et je viens.
Si je garde un peu d'amertume,
Toute douceur m'est revenue.
Il faudra que l'on s'accoutume
À me voir ainsi devenue...

Devenue ta douce-amère,
Moitié peine, moitié coeur,
Avec toi pour seul mystère,
Moitié veine, moitié peur...

Douce-amère
Pour ton coeur.


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