Anne Sylvestre
ELÉONORE


Je vous ai vus courir les filles
Quand le printemps poussait en vous,
Revenir le coeur en guenilles
D'avoir cueilli la fleur de houx.
Je vous ai vus les beaux dimanches
Pavoiser dessous les lampions
Mais qui vous retint par la manche
Quand vous baissâtes pavillon?

Oui c'est moi, c'est Eléonore,
Eléonore,
Avec un coeur qu'est si vaste encore,
Eléonore.

Je vous ai vus, dans les venelles,
Courir à quelque rendez-vous,
Connaissant bien la ritournelle
Que chanterait chacun de vous
Mais quand la belle était volage
Et vous laissait sur votre faim,
Qui vous servit de pâturage
Et vous offrit ses douces mains?

Je vous ai vus pleurer, messires,
Tête posée sur mes genoux.
J'ai ranimé votre sourire
Avec cette confiance en vous,
Et le dimanche et la semaine
Vous étiez mon calendrier.
Je vous aimais, j'étais sereine,
Porte ouverte, et vous le saviez.

Je vous ai vus l'un après l'autre
Déguisés en jolis mariés,
Mais je suis pourtant restée votre,
Seule manière d'oublier.
Lors je vis à l'écart, en butte
À mille et une méchancetés.
Vos épouses me persécutent
Et vous... vous me tyrannisez.

Moi, je reste Eléonore,
Eléonore,
Et mon coeur est plus vaste encore,
Eléonore.


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