Anne Sylvestre
JEANNETTE


Ne me dites pas que Jeanne était belle.
Ne me dites pas, ne me dites pas
Que tous les garçons se seraient pour elle
Fait couper les bras.
Elle avait les mains fortes qui consolent,
Le regard pesant des femmes comblées
Et cette splendeur de la faux qui vole
Sur les champs de blé.
Par Dieu, je le sais bien qu'elle était belle Jeannette,
Qu'elle avait le coeur grand comme un buisson de fleurs,
Une auberge de coeur où tous les gueux s'arrêtent
Venant y déposer leur bagage et leur peur.

Jeanne avait les bras courbés pour la gerbe
Et l'homme était gerbe en ses bras la nuit.
Elle moissonnait ses peines acerbes,
Fauchait ses ennuis.

Elle avait le flanc creusé en corbeille
Pour y recueillir les fruits de l'été.
Ses lèvres savaient comme des abeilles
Aux fleurs s'arrêter.
Par Dieu, je le sais bien qu'elle était belle, Jeannette,
Qu'elle avait le coeur grand comme un buisson de fleurs,
Une auberge de coeur où tous les gueux s'arrêtent,
Venant y déposer leur bagage et leur peur.

Quand elle passait, je la voulais morte,
Moi, triste pucelle au coeur indistinct.
Quand on l'a trouvée, c'était à ma porte,
Un dimanche matin.
Quand je vois dormir près de moi mon homme,
Le seul que Jeannette en sa vie aima,
Je ne parviens pas à trouver mon somme,
Moi qui ne l'aime pas.
Par Dieu, je le sais bien qu'elle était belle, Jeannette,
Qu'elle avait le coeur grand comme un buisson de fleurs,
Une tombe fleurie où ma pensée s'arrête
Pour y calmer un peu mon sommeil et ma peur.


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