Anne Sylvestre
POUR QU'ON M'APPRIVOISE


Quand j'ai perdu mon enfance,
J'étais pleine de piquants.
A quinze ans, faut que l'on danse:
Ils ne prenaient pas de gants.
Ceux qui m'ont vue triste, triste
Esquisser mes premiers pas,
M'aventurer sur la piste,
Ceux-là ne m'aidèrent pas.
J'aurais, pour qu'on m'apprivoise,
Pour qu'on me tende la main,
Cueilli toutes les framboises
Dans les tout petits chemins,
Mais on avait, je suppose
Bien d'autres chats à fouetter,
À cueillir bien d'autres roses
Que mon églantier.

J'étais pas la plus moche ni la moins futée,
Mais j'avais la caboche pas bien rabotée.
J'étais pas la moins tendre, mais j'avais si peur
Qu'on ne veuille pas m'attendre à l'autre coin d'un coeur.

Puis s'éparpillent les danses
Comme s'en vont les années.
À grande peine je commence
À ne plus désespérer.
Si quelquefois je m'attriste,
J'ai appris à le cacher.
Va, tant que le coeur résiste,
On peut bien le déguiser.
Je viens pour qu'on m'apprivoise,
Pour qu'on me tende la main.
J'ai plus l'âge des framboises
Pour ce qui est des chemins.
J'y ai couru, je suppose,
Assez pour avoir compris
Que plus vite meurt la rose
Que le pissenlit.

Je suis pas la plus moche ni la moins futée,
Et puis j'ai la caboche un peu mieux rabotée.
Je suis pas la moins, mais je ai toujours peur
Qu'on ne veuille pas m'attendre à l'autre coin d'un coeur.
Je viens pour qu'on m'apprivoise,
Pour qu'on me tende la main.
Je viens pour qu'on m'apprivoise,
Pour qu'on me tende la main.


À la page des textes d'Anne Sylvestre
À la page des textes