Anne Sylvestre
S'ILS FILENT TOUS DANS LA LUNE


Et s'ils filent tous dans la lune,
Qui restera garder
Notre terre avec ses dunes,
Ses mers, ses vergers?
Et s'ils cultivent les planètes,
Qui gardera les yeux
Sur les blés, les pâquerettes,
Les forêts de nos aïeux?

Eh bien, va, nous serons les concierges
De la terre qu'ils nous auront donnée,
Et nous frôlerons les cent vingt berges
Jusque nous pourrons nous promener,
Et nous ferons sans nous presser
Quelques petits jardiniers.

Et s'ils nous envoient des nouvelles,
S'ils nous disent: "Venez!"
Par là-haut, la vie est belle,
On est plus léger.
On a trouvé dans les étoiles
Un fruit qui fait vivre mille ans,
Une usine monumentale,
En fait un liquide blanc.

Eh bien, va, nous soignerons les vignes
De la terre à ses nouveaux matins,
Et à moins d'avoir bien de la guigne,
Nous en tirerons de beaux raisins
Et nous ferons peut-être bien
De petits buveurs de vins.

Et s'ils nous disent leurs découvertes,
Leurs hivers phosphorescents
Où tombe une neige verte,
Leurs étranges océans
Plus dépeuplés qu'une mer morte,
Mais cerclés de gros oiseaux blancs
Dont la chair - le diable l'emporte -
N'est ni vache ni merlan.

Eh bien, va, nous irons à la fraîche
Sur la mer qu'ils ne connaîtront plus
Et nous rapporterons de notre pêche
Les plus vrais poissons que l'on ait vus,
Et nous ferons à temps perdu
De petits pêcheurs de plus.

Un jour, après un long périple,
Ils reviendront chez nous
À bord d'une fusée triple
En métal de n'importe où.
Là, croyant trouver une lune
Pas encore explorée,
S'émerveilleront voyant une
Plaine verte et des champs dorés.

Eh bien, va, nos fils sauront leur dire
Qu'on n'est pas si mal sur ce plancher,
Qu'on y prend encore le temps de rire,
Qu'on y prend encore le temps d'aimer,
Et qu'ils peuvent toujours rester
Comme apprentis jardiniers.


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