Tri Yann
KORYDWEN ET LE ROUGE DE KENHOLL
1991


Korydwen, Korydwen, pourquoi t'en être allée au premier jour de mai de la
quinzième année, fillette païenne, couronnée d'épis de blé. À la fraîche
fontaine, dans le bois aux sorbiers? De s'en venir de Vannes trois hommes.
Trois cavaliers, au Pardon de Sainte Anne s'en allant chevaucher, de Sainte
Anne près de Nantes, sur un rocher dressée. Et Korydwen d'entendre les cloches
sonner. Le premier des cavaliers, de pierreries couronné. Cheval blanc comme
est blanc le marbre de Carrarz en été.
- A Sainte Anne, belle païen je vous mènerai. Venez venez en selle. Mais il
n'eut achevé que sa peau tombe en lanières sur son corps tout desséché, qu'en
chimère de pierre soudain se trouve changé, et ses bras en poussière et en
poudre ses deux pieds. Et de ses cendres grises, la fontaine est brouillée.
Plongeant l'épée dans l'ève, la second des cavaliers rendit claire la source
et plus fraîche d'emblée. D'une tortue la tête ornait son casque d'acier, ses
écailles recouvraient sa cuirasse cirée.
- Qui es-tu, dit Korydwen?
- Bathalan le guerrier! Je suis le fils de Tonkad et de l'océan suis né.
- L'océan ne fait naître que sirène ou bien que sorcier. Au Pardon de Sainte
Anne jamais ne te suivrai! De la fraîche fontaine au troisième des cavaliers,
Korydwen en sa bouche de l'ève claire a versé:
- Tu es jeune et tes yeux sont de jade émaillés; de quel pays viens-tu sur ta
pourpre haquenée?
- D'où je viens sept moulins tournent dans les vents salés qui font ma barbe
rose comme rose du rosier. On m'appelle Le Rouge à Kenholl où je suis né. A
Sainte Anne, au Pardon, je m'en viens pour te mener!

De bondir tous les deux dessus la pourpre haquenée. Sonnaient sonnaient les
cloches de vers Nantes au clocher. De chevaucher trois jours et deux nuits
sans s'arrêter, sans boire et sans manger, de colline en vallées, mais
Korydwen s'étonne à la troisième soirée.
- Je n'entends plus qu'à peine les cloches sonner.
- Ce n'est rien, dit Le Rouge, mais le vent a dû tourner. Viens. païenne, sur
ma couche de paille de blé... Ils repartent au matin dessus la folle haquenée.
Ils traversent des forêts de bois de cerf dressés, plus vertes que sont les
algues et que d'Irlande les prés, sans boire et sans manger, trois jours deux
nuits sans s'arrêter. Korydwen s'étonne à la sixième soirée
- Je n'entends plus les cloches du Pardon sonner!
- Tu te trompes Korydwen, tu te trompes ma bien-aimée; c'est le vent qui est
tombé. Il est tard, allons nous coucher. Quand Korydwen s'éveille à la septième
rosée, elle est seule sur la couche de paille de blé: à la place du Rouge elle
découvre à son côté des serpents et un miroir brisé. Et Korydwen d'y plonger
son regard pour le croiser, mais le visage qui lui fait face de la faire
sursauter: c'est celui d'une vieille femme d'au moins cent et dix années dont
des serpents dévorent les pauvres seins déchirés, et Korydwen de voir son
maigre sang couler, et la terre le boire et sa mort arriver. Et de son ventre
froid soudain s'envole un épervier qui plonge dans la Loire, en saumon
enchanté.


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