La moitié des gens de Beaucaire,
Fidèle au cérémonial,
Suivait jusqu'auprès du vicaire
Un convoi matrimonial.
Le même jour, à la même heure,
L'autre moitié des gens du lieu
Menait à sa dernière demeure
Un macchabée très précieux.
Comme il roulait dans les ténèbres
Le ciel étant tout encrassé
Le conducteur du char funèbre
Crut que c'était à lui de passer.
Par malheur, pour les mêmes causes,
Le conducteur du char conjugal
Crut justement la même chose:
La collision était fatale.
Au maximum de la dispute,
Les témoins des jeunes époux,
Secoururent leur chauffeur en butte
À cette avalanche de boue.
Les teneurs des cordons du poêle
- On ne leur en demandait pas moins -
Prouvèrent qu'ils avaient de la moelle
En bondissant sur les témoins.
Frémissante, la jeune veuve
Disait à l'épouse effarée:
"C'est par un de mes terre-neuve
Que nous te ferons déflorer.
- Mon palefrenier non-conformiste,
Répond l'autre du tac au tac,
Violera ton entrée des artistes
Si par miracle elle est intacte".
À pied, à cheval, en voiture
Les gendarmes mal inspirés
Vinrent, pour tenter l'aventure
D'interrompre l'échauffourée.
Or à Beaucaire, ou à Boulogne,
À Montmartre, à Chandernagor,
Dès qu'il s'agit de rosser les cognes
Tout le monde se met d'accord.
L'une d'elles, la veuve, attache
Le vieux maréchal des logis
Et lui fait crier: "Mort aux vaches,
Mort aux lois, vive l'anarchie!"
Il va de soi que les gendarmes
À la longue auraient succombé
Mais le formidable vacarme
Ôta le sommeil au macchabée.
Il dit: "Vos procédés me navrent
Vous vous conduisez en goujats;
Avant de faire de nouveaux cadavres
On enterre ceux qui le sont déjà."
Alors la moitié de Beaucaire
Conduisit le mort dans son trou;
L'autre moitié jusqu'au vicaire
Accompagna les deux époux.