J'ai pris la route de Dijon
Pour voir un peu la Marjolaine,
La belle, digue digue don,
Qui pleurait près de la fontaine.
Mais elle avait changé de ton,
Il lui fallait des ducatons
Dedans son bas de laine
Pour n'avoir plus de peine.
Elle m'a dit: "Tu viens, chéri?
Et si tu me payes un bon prix
Aux anges je t'emmène,
Digue digue don daine."
La Marjolaine pleurait surtout
Quand elle n'avait pas de sous.
La Marjolaine de la chanson
Avait de plus nobles façons.
J'ai passé le pont d'Avignon
Pour voir un peu les belles dames
Et les beaux messieurs tous en rond
Qui dansaient, dansaient, corps et âmes.
Mais ils avaient changé de ton,
Ils faisaient fi des rigodons,
Menuets et pavanes,
Tarentelles, sardanes,
Et les belles dames m'ont dit ceci:
"Étranger, sauve-toi d'ici
Ou l'on donne l'alarme
Aux chiens et aux gendarmes!"
Quelle mouche les a donc piquées,
Ces belles dames si distinguées?
Les belles dames de la chanson
Avaient de plus nobles façons.
Je me suis fait faire prisonnier,
Dans les vieilles prisons de Nantes,
Pour voir la fille du geôlier
Qui, paraît-il, est avenante.
Mais elle avait changé de ton.
Quand j'ai demandé: "Que dit-on
Des affaires courantes,
Dans la ville de Nantes?"
La mignonne m'a répondu:
"On dit que vous serez pendu
Aux matines sonnantes,
Et j'en suis bien contente!"
Les geôlières n'ont plus de coeur
Aux prisons de Nantes et d'ailleurs.
La geôlière de la chanson
Avait de plus nobles façons.
Voulant mener à bonne fin
Ma folle course vagabonde,
Vers mes pénates je revins
Pour dormir auprès de ma blonde,
Mais elle avait changé de ton.
Avec elle, sous l'édredon,
Il y avait du monde
Dormant près de ma blonde.
J'ai pris le coup d'un air blagueur,
Mais, en cachette, dans mon coeur,
La peine était profonde,
Le chagrin lâchait la bonde.
Hélas! du jardin de mon père,
La colombe s'est fait la paire...
Par bonheur, par consolation,
Me sont restées les quatre chansons.