Georges Brassens
LE PORNOGRAPHE



Autrefois, quand j'étais marmot,
J'avais la phobie des gros mots,
Et si je pensais "merde" tout bas,
Je ne le disais pas...
Mais
Aujourd'hui que mon gagne-pain
C'est de parler comme un turlupin,
Je ne pense plus "merde", pardi!
Mais je le dis.

Je suis le pornographe
Du phonographe,
Le polisson
De la chanson.

Afin d'amuser la galerie
Je crache des gauloiseries,
Des pleines bouches de mots crus
Tout à fait incongrus...
Mais
En me retrouvant seul sous mon toit,
Dans ma psyché je me montre au doigt.
Et me crie: "Va te faire, homme incorrecte,
Voir par les Grecs."

Je suis le pornographe
Du phonographe,
Le polisson
De la chanson.

Tous les samedis je vais à confesse
M'accuser d'avoir parlé de fesses
Et je promets ferme au marabout
De les mettre tabou...
Mais
Craignant, si je n'en parle plus,
De finir à l'Armée du Salut,
Je remets bientôt sur le tapis
Les fesses impies.

Je suis le pornographe
Du phonographe,
Le polisson
De la chanson.

Ma femme est, soit dit en passant,
D'un naturel concupiscent
Qui l'incite à se coucher nue
Sous le premier venu...
Mais
M'est-il permis, soyons sincère,
D'en parler au café-concert
Sans dire qu'elle a, suraigu,
Le feu au cul?

Je suis le pornographe
Du phonographe,
Le polisson
De la chanson.

J'aurais sans doute du bonheur,
Et peut-être la Croix d'honneur,
A chanter avec décorum
L'amour qui mène à Rome...
Mais
Mon ange m'a dit: "Turlututu!
Chanter l'amour t'est défendu
S'il n'éclôt pas sur le destin
D'une putain."

Je suis le pornographe
Du phonographe,
Le polisson
De la chanson.

Et quand j'entonne, guilleret,
A un patron de cabaret
Une adorable bucolique,
Il est mélancolique...
Et
Me dit, la voix noyée de pleurs:
"S'il vous plaît de chanter les fleurs,
Qu'elles poussent au moins rue Blondel
Dans un bordel."

Je suis le pornographe
Du phonographe,
Le polisson
De la chanson.

Chaque soir avant le dîner,
A mon balcon mettant le nez,
Je contemple les bonnes gens
Dans le soleil couchant...
Mais
Ne me demandez pas de chanter ça, si
Vous redoutez d'entendre ici
Que j'aime à voir, de mon balcon,
Passer les cons.

Je suis le pornographe
Du phonographe,
Le polisson
De la chanson.

Les bonnes âmes d'ici bas
Comptent ferme qu'à mon trépas
Satan va venir embrocher
Ce mort mal embouché...
Mais,
Mais veuille le grand manitou,
Pour qui le mot n'est rien du tout,
Admettre en sa Jérusalem,
A l'heure blême,

Le pornographe
Du phonographe,
Le polisson
De la chanson.


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