Georges Chelon
LA BOULANGÈRE



Des croissants chauds
Chaque matin de nos vacances
Chez grand-maman, au bord de l'eau
C'était là toute mon enfance
Mon oncle se levait très tôt
Courait à la boulangerie
J'ai cru comprendre à demi-mots
Que la boulangère est jolie

C'était le temps où l'on jouait
Encore aux billes
C'était seulement pour s'en moquer
Que parfois l'on parlait des filles
Et quand j'achetais des mistrals
Et des caramels à un franc
C'est vrai que je m'en fichais pas mal
Que la boulangère ait vingt ans

Et je mangeais sans me douter
Qu'un jour ce pain contre mes lèvres
Me ferait l'effet d'un baiser
Et qu'il me brûlerait de fièvre

Et puis il s'est mis à pleuvoir
On est retourné à Paris
Et j'oubliais dans mes devoirs
Que la boulangère est jolie

Avec le temps
Mon oncle a pris de la bouteille
Le pain frais et les croissants chauds
Ont fait place à ceux de la veille
Et j'ai le coeur adolescent
Et je pense avec nostalgie
Aux matins d'autrefois chantant
Que la boulangère est jolie

C'était le temps des copains
Du foot et de la musique
On courait après un ballon
Après des amours platoniques
A cet âge on a toujours faim
Et c'est devant la boulangerie
Qu'un grand m'a dit un beau matin
Que la boulangère est jolie

On a partagé un croissant
Chacun a pris sa part de rêve
Mais dans la mienne sous la dent
Il y avait comme une fève

Et puis il s'est mis à pleuvoir
On est retourné à Paris
Mais dans un coin de ma mémoire
La boulangère était jolie

C'est moi qui vais chercher le pain
La femme est belle
Un petit signe de la main
Elle se retourne et derrière elle
Sa fille met mon coeur en feu
Elle est la même rajeunie
Et je la dévore des yeux
Que la boulangère est jolie

Et je reçois comme un baiser
Ce pain que je porte à ma bouche
Ce pain que sa main a pesé
C'est un peu d'elle que je touche

Je l'attendais comme un cadeau
Que le ciel m'aurait promis
Son corps est comme un croissant chaud
Que ma boulangère est jolie


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