Il y en a qui dorment un peu,
Qui se reposent de chez eux,
Leur lit, sans doute, est beaucoup mieux,
Mais qu'ils sont beaux quand ils sommeillent.
Et d'autres qui sont dans leur coin
Et qui se tiennent par la main
Les fauteuils, pour eux, c'est du foin
Où ils peuvent se dire: "Je t'aime."
Il y en a qui, par hasard,
Passaient ce soir sur ce boulevard
Et qui sont entrés sur le tard
Sans trop savoir pourquoi,
Et d'autres qui sont là,
Qui ne le savent pas.
Il y en a qui n'osent pas,
De peur qu'on les montre du doigt,
Et qui ne nous regardent pas,
Mais qui surveillent leurs voisines:
Madame "de" n'applaudit pas,
Madame "de" n'aime pas ça,
Moi ça me plaît, mais n'allons pas
Bêtement perdre son estime
Il y en a qui sont polis,
Qui partent quand tout est fini,
Et d'autres pour qui le spectacle
Commence et finit à l'entracte,
Et d'autres qui sont là,
Qui ne le savent pas.
Et puis y a ceux qui viennent,
Tout sourire dehors,
Mais qui espèrent quand même
Voir une mise à mort.
Il y a ceux qui nous défient
De les faire vibrer,
Moins parce qu'ils s'en amusent
Que parce qu'ils sont blasés.
Oserais-je parler,
Pour nous faire plaisir,
De ceux qui démolissent
Ce qu'on cherche à bâtir,
Ou bien, sur une scène,
Va-t-on les faire monter
Un jour, nous dans la salle
Pour mieux en profiter?
Mais toi, mais toi
Si tu fermes les yeux,
Si tu semble dormir,
C'est pour mieux écouter.
Mais toi, mais toi
Si tu serres une main,
C'est que tu te sens bien.
Qu'importe ceux qui viennent
Sans trop savoir pourquoi,
Essayons tout de même
Qu'ils ne s'en aillent pas,
Que les amoureux s'embrassent,
Que d'autres dorment un peu,
Au prix où sont les places
On en fait ce qu'on veut.
Tant pis pour ceux qui viennent
Qu'on n'intéresse pas,
Mais tous ceux qui nous aiment
Ne les décevons pas.
Tant mieux s'il y en a mille,
Tant pis s'il y en a trois,
Même s'il n'y en a qu'un,
Chantons pour celui-là.