Vincent Delerm
ROBES


Les mois qui suivirent, il alla vivre chez elle, dans un studio au-dessus
du boulevard. Le matelas à même le sol, tout de suite à gauche quand
on ouvrait la porte. Il suffisait de faire un pas et on était sur le lit.
Le balcon n'en était pas un mais l'expression «fumer sur le balcon»
était malgré tout employée. Il n'y avait pas de réfrigérateur,
juste une bouteille de lait et du beurre suspendus à l'extérieur
dans un sac plastique et il se demandait comment les choses
seraient envisagées au mois d'août. Un appartement pour
ne pas réfléchir. Passer à autre chose après une longue histoire.
Il sentait bien qu'il arrivait un peu tôt dans le programme et
certains soirs en la rejoignant très tard, il défaisait ses chaussures
dès le couloir pour ne pas la réveiller.

Elle avait le souvenir enfant d'avoir été emmenée un soir rue d'Orchampt
dans la maison de Dalida. Il y avait une fête chez elle, sans elle.
A un moment de la soirée quelqu'un lui avait ouvert un placard à l'étage
et elle avait pu regarder les robes. C'était un souvenir en partie vague
pour elle et il n'avait pu s'empêcher d'y ajouter davantage de flou encore.
Comme s'il rephotographiait une image déjà abîmée. Il n'avait retenu
que la chose importante: il dormait à côté d'une fille qui un soir
avait vu les robes de Dalida dans un placard de la rue d'Orchampt.

Ils obtenaient lentement, morceau par morceau, des choses de leurs vies.
Il parlait de Joe Montana.
Elle disait je crois que ma mère fumait en m'attendant,
c'est pour ça que je n'ai pas de mémoire.


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