Jean-Pierre Ferland
LE POU



Un pou se dorait au soleil sur la plus haute branche d'une forêt de cheveux blancs
Ce doit être le printemps
Quand un pou s'étend au soleil ou bien c'est un dimanche ou c'est l'hiver qui fout le camp
Ce doit être le printemps car...

J'ai des fourmis dans les orteils, des frissons dans les hanches, des gargouilles et des tremblements
Ce doit être le printemps
Le temps me prend au sentiment, la surprise me grise, je suis ce que je n'étais plus, l'hiver m'avait perdu,
Me voilà revécu, ce doit être le printemps
Le vent me fait tourner le sang, je brûle mes mitaines, ma tuque et mon manteau doublé,
Mon ceinturon fléché, mes pardessus bouclés, ce doit être le printemps
Je mène jusqu'au bout du champ mon taureau et sa vache, le soleil leur pique les flancs
C'est la course au printemps, la vache par devant, ce doit être le printemps
En passant par le grand étang je mouille ma barcasse et je m'offre un peu de bon temps
Les pieds dans le courant, clapotis, clapotant, ce doit être le printemps
Dans le plus beau de mes jardins je plante mes légumes avec mes pieds, avec mes mains
Bout à bout, grain à grain, tout, tout, tout, fin, fin, fin, ce doit être le printemps
Je vais chez mon prochain voisin briser notre querelle et on se redonne la main avec un coup de vin
On se refait copain, ce doit être le printemps

Je reviens à travers les prés soudain le temps se couvre et le vent se met à venter et la neige à neiger
Et le froid à froider et la glace à glacer et le gel à geler
Mon ami se met à se moquer et ma vache à crever, mes légumes à faner, ma barcasse à craquer
Mes mitaines manquées, tout ça, tout ça, tout ça, tout ça parce qu'un pou au soleil faisait ses beaux dimanches
Tout ça parce qu'un pou fainéant m'a fait croire au printemps, tout ça parce que j'attends
Mon amante pour les premiers jours du printemps


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