Léo Ferré
AMRIA


Je ne sais rien de pur comme un jour de malheur
Quand l'aube met le deuil sur le velours des filles
Comme un surplis de sang surfilé de bonne heure
A l'aube je te dis comme on se met les villes

Et si je t'en raconte encore c'est que l'ivresse
Ne m'est pourtant comptée qu'en faveur des palais
Où se draillent des fées à sucer ma paresse
Invente donc l'été dans leur frigo brûlé.

Dis-leur qu'un beau jardin n'a pas besoin de lune
Qu'un désordre savant n'arrange pas ton dû
Parle-leur de la route ancienne et des fortunes
Qui coulent dans ta moelle au petit jour têtu

Je baise donc je suis je ne sais rien de grand
Comme un brick sur le flot et qui se prend pour Elle
J'invente sa carène alors en son mitan
Et je me dis que ses chevaux bavent des ailes

Il faut tourner de l'oeil comme on tourne une page
La bible dans le fond du lit bâille un chouya
Cette Afrique t'en souviens-tu? C'était l'orage
De mes cinquante berges enverguant l'Amria

Amria m'entends-tu? derrière tes yeux menthe
Des étoiles se font la paire et t'ensanglotent
Et tes prières qui leur remontent la pente
Les font se perdre ailleurs dans les années loupiotes.

Le temps n'est plus rien petite Il faut bien se charmer
Si la bruyère te démange au creux du rêve
Je pourrai la brouter de mémoire et semer
Dans ton regard violet la violette qui lève.

Mon mille neuf cent dix-sept à moi c'est dans Amria.


À la page des textes de Léo Ferré
À la page des textes