Léo Ferré
LE CRACHAT
Glaireux à souhait avec des fils dans l'amidon
Se demandant s'il tombera du mur ou non
Le crachat au soleil s'étire
Son oeil vitreux de borgne où la haine croupit
Brillant d'un jaune vert pâlot et mal nourri
Sous la canicule chavire
D'où viens-tu pèlerin gélatineux et froid
De quelle gorge obscure as-tu quitté l'emploi
Pour te marier à cette pierre
D'un gosier mal vissé ou d'un nez pituiteux
D'un palais distingué d'un poumon besogneux
Ou d'une langue de vipère
Avant que de finir au plat sur ce granit
Étais-tu préposé au catarrhe au prurit
Ou bien à résoudre une quinte
Es-tu le doute du rêveur l'orgueil du fat
La solution d'un douloureux échec et mat
Ou l'exutoire du farniente
Agacé par l'insecte au ventre crevant d'oeufs
Décoloré, suintant, le crachat comateux
Sur le trottoir enfin débonde
Tandis qu'agonisant sous des pieds indistincts
A l'aise enfin chez lui il me dit l'air hautain
"Je suis la conscience du monde"
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