Léo Ferré
LA MÉLANCOLIE

1964


La mélancolie

C'est une rue barrée
C'est ce qu'on peut pas dire
C'est dix ans de purée
Dans un souvenir
C'est ce qu'on voudrait
Sans devoir choisir

La mélancolie

C'est un chat perdu
Qu'on croit retrouvé
C'est un chien de plus
Dans le monde qu'on sait
C'est un nom de rue
Où l'on va jamais

La mélancolie

C'est se retrouver seul
Place de l'Opéra
Quand le flic t'engueule
Et qu'il ne sait pas
Que tu le dégueules
En rentrant chez toi
C'est décontracté
Ouvrir la télé
Et regarder distrait
Un Zitrone pressé
Te parler du tiercé
Que tu n'a pas joué

La mélancolie

La mélancolie

C'est voir un mendiant
Chez le conseil fiscal
C'est voir deux amants
Qui lisent le journal
C'est voir sa maman
Chaque fois qu'on se voit mal

La mélancolie

C'est revoir Garbo
Dans la reine Christine
C'est revoir Charlot
A l'âge de Chaplin
C'est Victor Hugo
Et Léopoldine

La mélancolie

C'est sous la teinture
Avoir les cheveux blancs
Et sous la parure
Faire la part des ans
C'est sous la blessure
Voir passer le temps
C'est un chimpanzé
Au zoo d'Anvers
Qui meurt à moitié
Qui meurt à l'envers
Qui donnerait ses pieds
Pour un revolver

La mélancolie

La mélancolie

C'est les yeux des chiens
Quand il pleut des os
C'est les bras du Bien
Quand le Mal est beau
C'est quelquefois rien
C'est quelquefois trop

La mélancolie

C'est voir dans la pluie
Le sourire du vent
Et dans l'éclaircie
La gueule du printemps
C'est dans les soucis
Voir que la fleur des champs

La mélancolie

C'est regarder l'eau
D'un dernier regard
Et faire la peau
Au divin hasard
Et rentrer penaud
Et rentrer peinard
C'est avoir le noir
Sans savoir très bien
Ce qu'il faudrait voir
Entre loup et chien
C'est un désespoir
Qu'a pas les moyens

La mélancolie

La mélancolie


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