Léo Ferré
LES VIEUX CHAGRINS
Texte de Jean-Roger Caussimon


La larme à l'oeil
Portant le deuil
Y'a des chagrins
Qui font le pied de grue
Devant ma porte...
Chagrins anciens
Dont je sais bien
Qu'ils ont des mains
En piège à glu
Des fois que je sorte...
Pour m'alpaguer
Pour me draguer
A l'imparfait
Au "souviens-toi"
A la détresse...
Te parodiant
Pauvre Lélian:
"Dis, qu'as-tu fais
Toi que voilà
De ma jeunesse?..."

Quand le passé
S'est bien cassé
Tu peux toujours
Ma pauvre frangine
Chauffer la colle...
Je connais la vie
Je n'ai plus envie
De refaire un tour
Au cours du spleen
De son école...
École du soir
Du désespoir
J'y suis passé
Je suis bachelier
J'ai mon diplôme...
Et comme la mer
Sans être amer
J'ai fracassé
Les vieux voiliers
Et leur fantômes!...

"On est copain
Depuis Saint-Germain!"
Dit l'inconnu
Qui vient à moi
Et qui m'embrasse...
En ajoutant
"Ça fait trente ans
Qu'on ne s'était vus
Mais autrefois
T'avais de la classe
Des dents de loup
Des cheveux fous
Quand tu chantais
T'étais le plus beau
Des libertaires...
Mais t'as changé
Y'a du danger
A fréquenter
Arthur Rimbaud
Et Baudelaire!..."

Allez chagrins
Je n'y peux rien
Faut transhumer
Vers les brouillards
De solitude...
Tous en troupeau
Seul dans sa peau
Faut s'assumer
Comme le noir
Sa négritude...
Et la pitié
En amitié
Ou en amour
Ça n'a jamais
Sauvé personne
Ni cette voix
Sur cette croix:
"Mon sang velours
Tout ce que j'ai
Je vous le donne..."

La larme à l'oeil
Portant le deuil
Les vieux chagrins
S'en sont allés
Au vent d'automne...


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