Juliette
LA BALLADE D'EOLE

Paroles: Frank Giroud, musique: Juliette


Lorsque je me sens las de jouer avec les vagues,
Les roseaux de Camargue ou les fumées de Prague,
Il m'arrive parfois, du haut de mon royaume,
De compter tous les noms que m'ont donnés les hommes:
Sirocco par ici, Tramontane à côté,
Zéphyr un peu plus loin et ailleurs Alizés,
Simoun ou bien Mistral, Aquilon ou Blizzard,
Autant de patronymes exotiques et bizarres,
Étranges inventions d'esprits à ras de terre,
Comme s'il y avait des frontières dans l'air.
Non, je n'ai pas de frères et c'est moi et moi seul,
Des Rocheuses à l'Oural, qui souffle à fendre gueule.
On me dit bise ou vent d'Autan.
On me divise en vingt en cent
Mais c'est en vain qu'on jase autant.
Je suis le même Ouest ou le vent,
Vent de l'instant ou vent d'avant,
Vandale ici, là, vivifiant.
Je suis unique et de tout temps.
Je ne suis qu'un, je suis le vent.

Je suis né bien avant que vos savants n'inventent
Les voiles que je gonfle et, même, je me vante
D'être ici-bas ce qu'on eût pu voir de plus vieux,
S'il avait existé en ce temps là des yeux.
Je survolais déjà les Andes et l'Aventin,
Dévalais les avens, les vals et les ravins
Bien avant que la pluie ne les ait fait verdir,
Bien avant que la vie ne les ait fait fleurir
Et c'est moi, je l'avoue sans offenser le Diable
Et sa peau de serpent, qui me rendit coupable,
D'une haleine fiévreuse, d'avoir soufflé à Eve
L'idée qui l'évinça de son jardin de rêve.

Vent de l'instant ou vent d'avant,
Vandale ici, là, vivifiant,
Je suis unique et de tout temps.
Je ne suis qu'un, je suis le vent

Et si j'oublie parfois les parfums enivrants
Dont je me suis gavé, j'en ramène souvent
Si loin de leur berceau qu'ils s'en viennent changer
L'humeur et les pensées des quidams étonnés.
Lorsque, dans les nuits chaudes de Bahia,
Sans mobile apparent et malgré la samba,
Un coeur soudain se glace, un sourire se brise,
C'est que je traîne encore un soupçon de banquise
Et quand, dans l'aube blême d'un hiver berlinois,
En dépit des murs gris des flocons qui tournoient,
Un émoi se réveille, une bouche fredonne,
C'est que je m'en reviens des Indes ou de Vérone.

Vent de l'instant ou vent d'avant,
Vandale ici, là, vivifiant,
Je suis unique et de tout temps.
Je ne suis qu'un, je suis le vent.

Mon empire est immense et recouvre le monde
Mais, parfois, je me lasse de l'éternelle ronde.
Alors, fou de tourner tout autour de ma boule,
Je dévaste et je hurle, j'arrache et je chamboule
Ou, plus vicieux, j'insuffle aux hommes ma démence
Et, de leurs ouragans, je ricane en silence.
J'attise un peu leurs feux et puis, calmé, je file
À l'autre bout du globe en des lieux plus tranquilles.
Là, j'oublie mes bravades, leurs braises et me fais brise.
Je soulève la robe des belles que je grise,
Ravivant en passant chez les passants ravis
L'envie d'être le vent à qui tout est permis.

On me dit bise ou vent d'Autan.


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