Kent
L'HOMME DE DERRIÈRE J. Bastello - K. Cokenstock
A vous qui, chaque fois que vous n'êtes pas en retard,
Achetez ces bouquins vendus sur les quais de gare,
Sachez que vote fidélité aux yeux fermés
Qui vous fait toujours choisir le même romancier,
Cette fidélité vous trahit d'une main allègre
Car cet auteur n'écrit pas, cet auteur a un nègre.
C'est un géant habile, oui, mais aux pieds d'argile.
Dans l'ombre pour lui un type a du style.
C'est moi, l'homme de derrière, l'inconnu volontaire
Qui se contente d'avoir la rançon sans la gloire.
C'est moi, l'homme de derrière qui roule à l'ordinaire.
Mais moi, je m'en fous, je n'aime pas la parade,
Je préfère les coulisses aux lampions des façades.
Une star du moment, féminine absolue,
Fait la une des kiosques avec ses peine s de cul.
Le pays tout entier s'émeut de son malheur
En recomptant les amants qui l'ont laissée en pleurs.
Mais derrière la vitrine du défilé des mâles,
Au-delà des oignons aux vertus lacrymales,
Se planque sous l'édredon un discret étalon
Qui console la belle avec aplomb.
C'est moi, l'homme de derrière, l'inconnu volontaire
Chez qui sonne la douce sans médias à ses trousses.
C'est moi, l'homme de derrière, le repos de la guerrière.
Loin des bruits d'alcôve et autres galéjades,
Je préfère les coulisses aux lampions des façades.
Braves gens qui me croisez sans trop me remarquer,
Je tiens à vous prévenir de ne pas vous y fier.
Je suis en apparence parfaitement bonasse
De ma coupe de cheveux au cuir de mes godasses
Mais j'ai un poing levé caché dans ma doublure,
Un poing à envoyer au tapis les parjures.
Au fond de moi se recueille et tient le monde à l'oeil
Un Zorro virtuel dans son fauteuil.
C'est moi, l'homme de derrière, l'inconnu volontaire,
Prêt à porter secours mais qui attend son tour.
C'est moi, l'homme de derrière, justicier solidaire.
Foin des vantardises et des rodomontades,
Je préfère les coulisses aux lampions des façades.