Gilbert Laffaille
LA BALLADE DES PENDULES
A la lueur d'une applique,
Un chinois un peu myope,
Sur son boulier magique,
Fait les comptes de l'échoppe.
Dans son arrière-boutique,
Une anglaise démoniaque
Glisse un peu d'arsenic
Sur la colle des enveloppes...
L'ailier-droit, magnifique,
Sous la pluie, dans les flaques,
Marque un but héroïque
Mais le P.U.C. contre-attaque!
Et au Théâtre antique,
En public mais sans claque,
Des cabots dramatiques
Loupent la fin d'Andromaque!
Et chacun dans sa bulle,
Minuscule, gesticule,
Et partout, les pendules
Marquent un temps différent.
Penché sur le zodiaque,
Un indien ascétique
Voit les signes prophétiques
Du temps qui se détraque.
Accoudé près d'un bock,
Un raté pathétique
Se moque d'un alcoolique
Qui débloque sur l'époque.
Un ancien grand comique,
Dans une boîte à la mode,
Croise un homme politique,
Très loin, aux Antipodes
Et le vieux porc-épic,
Solitaire équivoque,
Fait de l'oeil à la bique
Qui reluque le phoque...
Et chacun dans sa bulle,
Minuscule, gesticule,
Et partout les pendules
Marquent un temps différent.
A l'hôpital public,
Un interne astigmate
Opère la cataracte
D'un opticien presbyte.
Dans la brousse en Afrique,
Un moustique nyctalope
Pique un lion flegmatique
Qui croque une antilope.
Des savants soviétiques
Fabriquent un télescope
Pour voir en Amérique
L'usine de microscopes.
Et derrière la vitrine,
L'acrobate qui culbute
Jamais ne catapulte
Le lapin qui patine...
Et chacun dans sa bulle,
Minuscule, gesticule,
Et partout les pendules
Marquent un temps différent.
Dans une boîte à musique,
Rendez-vous interlope,
Un sadique misanthrope
Drague une garce diabolique.
Au fond d'une banque opaque
L'employé noir astique,
Le télex laconique
Qui annonce un grand Krach.
Alité en clinique,
Souffrant de l'humérus,
Un psychiatre psychotique
Emboîte des poupées russes
Et dans sa cage au cirque,
Au milieu des baraques,
Un vieux macaque mastique
Un papier bleu qui craque...
Et chacun dans sa bulle,
Minuscule, gesticule,
Et partout les pendules
Marquent un temps différent.
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