Qu'il reste encore des ours
Et de l'eau dans les sources
Pour les cerfs et les biches,
Des chemins buissonnièrs
Et de vieux châtaigniers
Où les oiseaux se nichent,
Qu'il y ait des caribous,
Des renards et des loups
Cachés dans la nuit noire,
Des forêts de légendes
Et des champs de lavande
Au fond de ma mémoire,
Que tu apprennes à vivre
Dans la blancheur du givre
Où les feux de broussailles
Et pas dans ces prisons
Qui n'ont pour horizon
Qu'un tissu de grisaille,
Que tu voies des piverts,
De la neige en hiver
Et des matins bleutés,
Des sapins de ton âge
Et des torrents d'images
Courir en liberté,
Que tu puisses à ton tour
Te souvenir un jour
D'une enfance au soleil,
D'une odeur de jasmin,
D'un poussin dans la main
Ou d'un essaim d'abeilles.
Que l'on te laisse un monde
Où les pommes sont rondes
Et les raisins dorés,
Qu'il reste sur la terre
Des hiboux solitaires
Et des merles moqueurs,
Quelques vieux hérissons
Pour écrire des chansons
Qui chantent au fond du coeur,
Que tu voies de tes yeux
Des galets merveilleux
Jouer dans la lumière
Des ruisseaux de diamant
Et des saumons d'argent
Remonter les rivières,
Que tu puisses à ton tour
Te souvenir, un jour,
D'une caresse légère,
D'une alouette affolée
Ou d'un baiser volé
Sur un lit de fougères,
Que l'on te laisse un monde
Où les pommes sont rondes
Et les raisins dorées.