Georges Moustaki
LE PASSAGER CLANDESTIN


A bord de ce transatlantique
Qui fait la ligne régulière
Entre l'Europe et l'Amérique,
Chargé de belles passagères,
De la musique au premier pont,
De beaux messieurs qui font la roue,
L'oeil égaré sous les jupons
Qui s'envolent par vent debout,
à bord de ce transatlantique
Qui fend l'eau désinvolte et fier,
Loin du champagne et de la musique,
Un clandestin fixe la mer.

Une femme l'attend là-bas,
Tout là-bas comme une promesse,
Une femme comme il y en a
Dans le coeur d'un homme en détresse.

Il reste assis, là, sans bouger,
Dans la nuit de son fond de cale.
Rien d'autre à faire qu'à gamberger,
Compter les jours et les escales
Et les bruits de là-haut résonnent
Et lui remplissent les oreilles.
Dire que là-haut, il y a des hommes
Et puis des femmes et du soleil.
Alors sa raison a craqué
Et tant pis pour ce qui arrive,
Il a quand même voulu risquer
Une promenade dans les coursives.

Et la femme qui l'attend là-bas,
Quel espoir la pousse à attendre
Sans seulement savoir s'il pourra
Passer son coeur en contrebande.

A bord de ce transatlantique,
Dans une ambiance de croisière,
Il y a belote en touristique,
On joue au bridge dans les premières.
Le ciel est bleu la mer est sage,
Mais tout à coup grand branle-bas:
On a vu ceux de l'équipage
S'emparer de ce hors-la-loi.
Sur l'océan comme sur la terre,
Il y a les bons et les méchants.
Ça ne fera qu'un fait divers
Sur le livre de bord du commandant.

Mais la femme qui l'attend là-bas,
Aura-t-elle assez de ses larmes
Pour pleurer quand elle le verra
Débarquer entre deux gendarmes?


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