Edith Piaf
DE L'AUTRE CÔTÉ DE LA RUE Paroles et musique: M. Emer, 1943
Des murs qui se lézardent
Un escalier étroit
Une vieille mansarde
Et me voilà chez moi
Un lit qui se gondole
Une table de guingois
Une lampe à pétrole
Et me voilà chez moi
Mais le soir quand le cafard me pénètre
Et que mon coeur est par trop malheureux
J'écarte les rideaux de ma fenêtre
Et j'écarquille les yeux.
De l'autre côté de la rue
Y'a une fille
Y'a une belle fille
Qui a tout ce qu'il lui faut
Et même le superflu
De l'autre côté de la rue
Elle a de l'argent, une maison, des voitures
Des draps en soie, des bijoux, des fourrures
De l'autre côté de la rue
Y'a une fille
Y'a une belle fille
Si j'en avais le quart je n'en demanderais pas plus
De l'autre côté de la rue.
Souvent l'âme chagrine
Quand je rentre chez moi,
Je vais courbant l'échine,
Il pleut ou il fait froid.
Faut monter sept étages
Suivre un long corridor,
Je n'ai plus de courage,
Je me couche et je dors
Et le lendemain faut que tout recommence,
Je pars au travail dans le matin glacé
Alors je me dis y'en a qui ont trop de chance
Et les autres pas assez.
De l'autre côté de la rue
Y'a une fille
Y'a une belle fille,
Pour qui toutes nos misères
Seront toujours inconnues,
De l'autre côté de la rue,
Quand il fait froid, elle danse des nuits entières,
Quand il fait chaud, elle s'en va en croisière.
De l'autre côté de la rue,
Y'a une fille
Y'a une belle fille
Vivre un seul jour sa vie je n'en demanderais pas plus,
De l'autre côté de la rue.
Je le connaissais à peine,
On s'était vu trois fois
Mais à la fin de la semaine
Il est venu chez moi,
Dans ma chambre au septième
Au bout du corridor,
Il murmura: "Je t'aime"
Moi j'ai dit: "Je t'adore"
Il m'a comblée de baisers, de caresses,
Je ne désire plus rien dans ses bras,
Je vois ses yeux tout remplis de tendresse,
Alors je me dis tout bas:
De l'autre côté de la rue
Y'a une fille
Y'a une pauvre fille,
Qui ne connaît rien de l'amour,
Ni de ses joies éperdues.
De l'autre côté de la rue,
Elle peut garder son monsieur qu'elle déteste,
Ses beaux bijoux, tout son luxe et le reste.
De l'autre côté de la rue,
Y'a une fille
Y'a une pauvre fille
Qui regarde souvent d'un air triste et perdu,
De l'autre côté de la rue.