Gilles Servat
LITANIES POUR L'AN 2000
En ce temps il était possible
D'aller dans la rue sans son flingue
Car il n'y avait que les dingues
Qui prenaient les passants pour cible
C'était encore peu répandu
Quand on descendait à sa cave
De trouver vingt surhommes très braves
En train de violer une inconnue
On pouvait circuler en ville
Sans peur, sans fouille systématique
Sans recevoir des coups de trique
De la part d'un vigile viril
Je garde en moi le souvenir
En ce moi de mai 2010
De ces années soixante-dix
Où l'on sentait tout ça venir
Le couvre-feu n'existait pas
Les lumières brillaient dans la nuit
On sortait bien après minuit
Car l'énergie nous manquait pas
Y'avait encore des rossignols
Qui chantaient par les nuits d'été
J'avais pas de masque sur le nez
L'oiseau tombait pas en plein vol
Il existait des grands chemins
Que les bandits fréquentaient guère
Aujourd'hui on croirait la guerre
Les embuscades au petit matin
Je garde en moi le souvenir
En ce moi de mai 2010
De ces années soixante-dix
Où l'on sentait tout ça venir
On avait encore une adresse
Pas de loisirs obligatoires
Pas de télé obligatoire
Et pas de matricule aux fesses
On pouvait prendre pour confesseur
Sa femme, son enfant, sa soeur
Sans être sûr d'ouvrir son coeur
Au ministère de l'Intérieur
Et même se regarder en face
Sans se demander si c'est un flic
Si c'est soi-même ou un indic
Dont on voit les yeux dans la glace
Je garde en moi le souvenir
En ce moi de mai 2010
De ces années soixante-dix
Où l'on sentait tout ça venir
Il restait les derniers pavés
Il n'y avait que les maisons
Les trains, les cars et les avions
Qui avaient l'air conditionné
On avait encore le droit de grève
Et le cerveau en liberté
Machin avait pas inventé
La machine à lire les rêves
Avant que le siècle ne s'achève
Nous avons vaincu le cancer
Mais on ne meurt pas moins qu'hier
Les suicides ont pris la relève
Je garde en moi le souvenir
En ce moi de mai 2010
De ces années soixante-dix
Où l'on sentait tout ça venir
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