Anne Sylvestre
COÏNCIDENCES


Le beau frère de la soeur du voisin, gendarme,
Est mort il y a quelques jours, est mort enfin sans larmes.
Des larmes il n'y avait plus de quoi.
Il n'avait même plus de poids,
Plus de souffle dans la poitrine.
Il était dans son lit gisant,
Il avait moins de quarante ans,
Il travaillait dans une usine
De celles dont on ne dit rien,
Où il n'y a jamais de pépins,
Jamais de morts ni de malades.
Ils n'y travaillent pas longtemps.
Ils ne savent jamais pourtant
Où vont finir leurs camarades.

REFRAIN:
Allons, mais qu'est-ce que tu penses?
Ce ne sont que des coïncidences.
Ces choses-là n'arrivent pas,
Pas chez nous en tout cas.

La femme de ménage de l'école de sciences
A passé la visite médicale en confiance.
On lui a dit: "Il faut rester
À l'hôpital vous reposer."
L'a répondu: "J'ai mon ouvrage".
Balayer autour du machin,
Ils appellent ça, je crois bien,
Une pile dans une cage.
Ils ont analysé son sang,
Ils l'ont gardée. Ça fait longtemps,
Y en a une autre qui balaye
À qui, bien sûr, on a rien dit.
A l'hôpital il y a des lits.
Elle ne vivra sûrement pas vieille.

REFRAIN

La sage-femme qui voit naître des enfants difformes,
En voyant de plus en plus avec le temps, s'informe.
On lui dit: "C'est le tabac,
C'est la pilule ou le calva,
Mais certainement pas l'usine
Où tous les pères vont pourtant gantés,
Bottés, casqués de blanc,
Gagner leurs trois sous de débine.
Il faut tout ça pour compenser
Ce que vous pouvez gaspiller
D'essence dans vos mobylettes,
Et quand vous marcherez à pied,
Vous pourrez toujours regarder
Passer les avions sur vos têtes.

REFRAIN

Et moi, moi qui vous parle avec mon micro électrique,
J'ai bonne mine à vous les dérouler, mes idées paniques.
Je n'aime pas beaucoup le froid,
Je ne me chauffe pas au bois
Et je ne boude pas l'essence,
Mais j'ai au ventre une grande peur
Qu'on se retrouve un jour sans fleurs,
Sans enfants et sans espérance,
Qu'on se retrouve un jour sans nous,
Avec personne au bord du trou,
Rien que des armes et puis personne.
Oh, dites qu'on s'en passera,
De toutes ces choses qu'on a,
Qui ne valent pas qu'on abandonne..

Je n'y peux rien, toujours j'y pense,
Je ne crois pas aux coïncidences.
Ces choses arrivent bien
Et je n'invente rien.

Mais, surtout, gardez vos vélos.
On ira voir au bord de l'eau
Si jamais la mer veut
Redevenir bleue.


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