Anne Sylvestre
JÉRÉMIE


Tu disais que j'étais pas jolie, Jérémie.
Tu disais que je serais pas ta mie.
Tu disais que j'avais les yeux gris, Jérémie
Et des cheveux comme la pluie.

Tu disais que j'étais pas jolie à la marelle.
Tu ne touchais pas du doigt les demoiselles,
Pervenches et tellement sages,
Et tu jouais distrait.
Tu aimais celles, plus belles, du voisinage,
Blondes et blanches, Jérémie.
Tu disais que je serais pas ta mie.
Tu disais que j'étais pas polie, Jérémie.
Tu disais que je serais pas ta mie.
Moi, j'avais trouvé des amis, Jérémie,
Qui étaient un peu dégourdis.
Tu disais que j'étais pas polie, Jérémie.
Tu disais que je serais pas ta mie.

On faisait la guerre, légère, des embuscades
Et puis la guerre sévère des embrassades.
Tu avais, toi, le droit du bout des lèvres
De débiter, sucrées, des choses mièvres.

Un jour tu m'as trouvée jolie, Jérémie,
Beaucoup plus que tes belles amies.
Moi, j'avais toujours mes yeux gris, Jérémie,
Et mes cheveux comme de la pluie.
Un jour, tu m'as trouvée jolie, Jérémie,
T'as voulu que je sois ta mie.

Tu peux venir sourire, battre des ailes,
Tu n'impressionnes personne que les oiselles.
Tu peux courir, souffrir, je m'en balance,
Et sans tes yeux trop bleus ma vie commence.

Tu disais que j'étais pas jolie, Jérémie.
Tu disais que je serais pas ta mie.
Eh bien, tu n'avais pas menti, Jérémie.
T'auras pas mes cheveux de pluie.
J'étais peut-être pas jolie, tu l'as dit.
Je t'aimais pourtant, Jérémie.

Mais c'est trop tard et c'est fini!


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