Anne Sylvestre
ROSE


Rose, elle avait seize ans, c'était une gamine,
Elle aimait s'amuser, n'y voyait pas de mal.
Ses parents la gardaient comme une perle fine,
Elle passait la fenêtre et s'en allait au bal.
Elle voulait s'amuser, c'est vrai, je le répète,
Elle aimait les garçons, surtout pour en rêver.
Elle ne savait rien des envers de la fête.
Elle couchait parfois, mais pour se réchauffer.

Elle ne savait rien, j'en suis presque certaine,
Car sa mère disait qu'elle avait bien le temps.
Aussi ce fut après bon nombre de semaines
Qu'elle sut que peut-être elle portait un enfant.
Elle n'y crut pas trop ou s'empêcha d'y croire.
Un jour, elle ne put le cacher plus longtemps.
Son père la chassa comme dans les histoires
Et le garçon se moqua d'elle évidemment.

Rose aurait bien voulu ne pas garder la chose
Qu'elle désavouait de tout son corps surpris,
Mais il était trop tard et la métamorphose
Continuait sans elle et l'effrayait aussi.
Quand elle se débattit pour la jeter au monde,
Elle dit que surtout elle n'en voulait pas,
Mais on lui mit aux bras une poupée si blonde
Que toute son enfance au coeur lui remonta.

Elle essaya de vivre et n'y fut pas habile,
La misère est plus dure à qui ne comprend rien.
Elle était isolée dans le désert des villes
Et personne jamais ne lui tendit la main.
Elle ne savait pas, et vous devez me croire,
Qu'un enfant, ça diffère un peu d'une poupée,
Et quand elle sortait, elle avait en mémoire
Qu'il était dans sa botte et qu'elle l'avait rangé.

Mais un jour qu'elle avait plus fort que d'habitude
Joué à la maman et qu'il ne bougeait plus,
Elle a vu plus de gens que dans sa solitude,
Quand elle avait besoin il n'en était venu.
Vous allez la juger du haut de votre tête,
Monsieur le Président et Messieurs de la Cour.
N'oubliez pas surtout qu'avec nous tous vous êtes
Coupables de silence et de manque d'amour.

Le malheur, voyez-vous, est une autre planète,
Et nous devrions bien la découvrir un jour.


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