La tordue
RENÉ BOUTEILLE
À l'heure où les étoiles tombent,
Il creuse la sienne,
Plus pâle qu'une ombre
Qui boit de la verveine.
Il chahute, il chante,
Mais c'est l'air de la mer
Qui bientôt le tourmente
Et lui vole sa prière.
Il chahute, il chante,
Mais c'est l'air de la mer
Qui bientôt le tourmente
Et lui vole sa prière.
Depuis qu'il a vu le jour,
Il a trimardé sur terre,
Mais il a pas eu plus d'amour
Qu'un sac de pommes de terre.
Il chante, il chante,
Mais c'est de l'eau amère
Qui lui coule, ardente
Brûlure à ses paupières.
Il chante, il chante,
Mais c'est de l'eau amère
Qui lui coule, ardente
Brûlure à ses paupières.
Ses vieux l'ont pas reconnu,
Alors il est allé se faire voir
Par le monde et ses rues.
Il a mangé son pain noir.
- On peut pas tout avoir...
Ouais, mais quand on a rien eu...
Et nul n'a répondu
Quand il voulait savoir,
Et son coeur s'est fendu
D'essuyer tant de déboires.
Il est tombé des nues.
Il s'est même fait trottoir,
Puis porté disparu
Par des gens trop bavards.
- Chacun vaut son voisin...
Sauf quand c'est un vaurien...
Battant pavé et breloque,
Il a le scorbut à l'âme
Et son coeur soliloque
Sans but le pauvre diable.
Il a la tête tordue,
Essoré d'une oreille.
C'est pas d'avoir trop bu:
C'est d'être né bouteille.
Il chante, il chante.
Il voulait boire la mer
Qui sur ses joues serpente,
Les soirs de trop de misère.
Il chante, il chante.
Il voulait boire la mer
Qui sur ses joues serpente,
Les soirs de trop de misère.
Le mer, la mer,
C'est elle qui le hante,
Dans son coeur une arrière-
Saison d'écume qui chante.
Dans le miroir aux étoiles,
Dans l'océan sa planque,
D'alouette en cavale,
Il a jeté son ancre.
Il chante, il chante,
Mais c'est bientôt la mer
Qui vient couvrir sa plainte,
Au creux de sa dernière bière.
Il chante, il chante
Son chant de vagabond.
C'est maintenant la mer
Qui roule sa chanson.
Il chante, il chante
Son chant de vagabond.
C'est maintenant la mer
Qui roule sa chanson.
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