Charles Trenet
VOUS OUBLIEZ VOTRE CHEVAL
Paroles et musique: Charles Trenet


Coiffé d'un large sombrero,
Vêtu d'une veste à carreaux
Et chaussé des bottes légères,
Hier, dans une boîte de nuit,
On vit arriver, seul, sans bruit,
Un homme d'allure étrangère.
Ses yeux avaient un reflet vert.
C'était le reflet des pelouses.
Sa voix avait un timbre clair.
Il avait l'accent de Toulouse
Mais, vers le tard, quand il sortit,
En donnant un ticket de vestiaire,
La dame du vestiaire lui dit
Cette phrase très singulière:
"Monsieur, Monsieur,
Vous oubliez votre cheval.
Ne laissez pas ici cet animal.
Il y serait vraiment trop mal.
Monsieur, Monsieur, pour un pur-sang dans ce vestiaire,
C'est triste de passer la nuit entière
Sans même coucher dans une litière.
Comme il s'ennuyait
Et comme il bâillait,
Je chantais pour qu'il soit sage.
Comme il avait faim,
Que je n'avais plus de pain,
J'y ai donné un peu de potage.
Monsieur, Monsieur,
Chose pareille est anormale.
N'abandonnez pas ce pauvre animal,
Vous oubliez votre cheval."

Cinquante ans plus tard, le jockey,
A ses petits enfants, expliquait
Des aventures invraisemblables.
"Il avait un sourire amer
Et, comme il se croyait loup de mer,
Il jurait et crachait à table
Tout en mâchonnant un mégot.
Il y'allait de son bavardage.
Il ne parlait que de cargo,
De tempêtes et d'abordages."
Mais les petits enfants, pas dupés,
Montrant un tableau qui s'effrite
S'écriaient: "Grand-père, ce beau pré,
C'est-y la mer ou Maison-Laffite?
Grand-père, Grand-père,
Vous oubliez votre cheval.
Vous nous menez en bateau, c'est normal,
Mais vous n'êtes pas amiral.
Grand-père, Grand-père,
Jamais vous ne fûtes corsaire
Et vous n'avez connu de mal de mer
Que lorsque vous montiez Prosper.
Dites-nous plutôt
Comment, à Puteaux,
Vous avez connu Grande mère,
Comment, à Paris,
Le jour du Grand Prix,
Vous vous êtes foutu par terre.
Grand-père,
Vous n'êtes pas un vieux loup de mer.
Vous n'êtes pas non plus un amiral.
Vous oubliez votre cheval."


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